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Editorial

Editorial

La vague ou l'écume


La sécheresse de cet été et les vagues de chaleur avec leur cortège d’incendies, les intempéries de cet automne et les tempêtes avec leur succession d’inondations, démontrent plus que jamais le changement climatique et l'urgence d'agir. Plus personne ne remet en cause la nécessité de diminuer notre consommation d'énergie et d’en finir avec les combustibles fossiles. Nous éprouvons dans chacun de nos projets les conséquences de cette détermination par le biais de réglementations énergétiques toujours plus exigeantes. Au quotidien, elles contraignent l’architecte à choisir les matériaux isolants les plus performants et les triples vitrages ; elles lui imposent le recours aux techniques high-tech de chauffage et de ventilation mécanique. Nos constructions deviennent des boites étanches qui répondent à court terme à l’obligation de consommer moins. Il ne faudrait pas pour autant que l’arbre cache la forêt et que l’architecte se satisfasse trop vite et s’abstienne d’une réflexion plus profonde sur le «?bien bâtir?», dans le contexte plus large des limites des ressources planétaires.

L'impact d'une construction ne se limite pas à sa consommation. Si l’on tient compte de la chaîne complète depuis l’extraction des matières premières au traitement des déchets, le secteur de la construction est responsable de près de 40 % des émissions éq. CO2 en Europe, de plus de 30 % de la consommation d’eau et de la production de 33 % des déchets non recyclés. L’évaluation de l’empreinte carbone de la construction d’une maison neuve «?traditionnelle?» de 150 m² est de l’ordre de 60 tonnes éq. CO2. Elle équivaut à 6 années de l’empreinte carbone totale d’un citoyen belge.
Les matériaux traditionnels ont un bilan environnemental toujours supérieur à celui de leurs équivalents biosourcés : sur son cycle de vie, un enduit synthétique requiert 100 fois plus d’énergie au mètre cube qu’un enduit d’argile, la construction d'un mur de brique génère 4 fois plus de CO2 qu’un mur en blocs de chanvre. Le sable est une matière première non renouvelable dont le taux d’extraction dépasse le taux de renouvellement naturel. Moins de 5 % du sable disponible permet de faire du béton. Dans le monde, on utilise 40 milliards de tonnes de sable par an, essentiellement dans le bâtiment et les travaux d'infrastructures. À part l’eau, aucune ressource n’est à ce point exploitée. En quelques décennies, sa consommation est devenue un problème planétaire très sensible. La pénurie guette et les extractions maritimes menacent les côtes comme les écosystèmes. Sans sable, pas de béton, pas d’asphalte, pas de verre et pas de constructions «?traditionnelles?».

Face à ces réalités, confronté au lourd bilan du secteur du bâtiment, l'architecte ne peut plus se contenter de répondre à des réglementations de performance énergétique et se limiter à construire des bâtiments certes passifs, mais au final bien peu respectueux des défis environnementaux. L’enjeu sociétal dépasse très largement cette vision étroite. Il faut évoluer vers une réflexion plus profonde sur la construction durable, l’économie circulaire, l’utilisation accrue de matériaux biosourcés, les matériaux de réemploi, le recyclage. Il faut avec humilité revenir à l'essentiel des besoins de l'homme, à sa place dans l'évolution du monde.

Etre imaginatif, profond dans la réflexion, juste et économe dans la réponse, n’est-ce pas finalement en revenir à l’essence même de l’architecture ? Notre métier nous donne à la fois le privilège et la responsabilité de construire le monde de demain. Soyons la force de la vague plutôt que la légèreté de l’écume.

Gérard Kaiser, architecte et membre du comité de rédaction.
 
MDA - Maison des architectes
Editeur de la revue Architrave
En association avec l'Union Wallonne des Architectes
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Architectura
Collaborateur de la revue architrave